FRANCHIR LA NUIT

Franchir la Nuit

Texte de Davide Racca

Devant nous, la mer. Un enfant de dos nage à contre-courant. Les vagues le font apparaître et disparaître, jusqu’à ce que sa tête ne prenne la forme d’un entremêlement de bois flottant.

Dans l’iconographie, la vague nous ramène à celle de la fameuse estampe d’Hokusai. Mais si le japonais voulait exprimer dans son dessin la puissance de la nature, Nandre avec sa vidéo nous invite à réféchir sur la fragilité de la condition humaine et sur le destin de milliers de migrants qui chaque jour affrontent la mer à la recherche d’une vie meilleure. Voici le fil rouge de l’exposition Franchir la nuit. Une exposition composée en majorité de visages, dans une nuit traversée d’espérance et de tragédie, de désir et de malheur, de mémoire et d’oubli. Visages comme autant d’histoires, fuyant les dictatures, la misère, les guerres, les changements climatiques et environnementaux. Visages qui,franchissant la nuit et franchissant la nuit seulement, caressent l’espoir d’une aube nouvelle.

Les histoires invoquées par Nandre racontent celles et ceux qui risquent le voyage les yeux fermés, s’en remettant au destin. Le destin comme principe essentiel – comme le sont les visages d’étoffe réalisées par l’artiste. Tous les visages, sauf un, ont les yeux fermés, suggérant le recueillement d’un groupe dans la prière. En définitive, une prière pour le salut. Comme dans une invocation chamanique, l’artiste réalise des visages-fétiches incarnant des esprits migrant alors qu’ils traversent leur nuit, escortés par l’unique d’entre eux aux yeux ouverts.

Parmi ces visages d’étoffes, une figure singulière retient notre attention. Un personnage au regard marqué d’un code barre qui, dans l’économie de l’oeuvre de Nandre, semble avoir une double valeur : la marque du désir légitime d’une vie plus confortable, mais aussi le témoin de l’aliénation humaine dans la marchandisation du capitalisme mondial.

Ce symbole commercial est également présent au bas de chacune des toiles grand format. Un format qui confère importance et dignité à des individus qui, sans cela, seraient restés anonymes. Leurs visages nous apparaissent comme des cartes géographiques sentimentales. En les observant, nous apercevons la conformation de leurs angoisses et de leurs désirs et nous y entrons comme pour apprendre le chemin vers la compassion. Ces portraits demandent en effet à être reconnus, avec empathie et bonté. Ils nous rappellent que la nuit de la traversée est faite de sentiers brusquement interrompus, de chemins qui brutalement nient ces visages.

Enfin, sur certains dessins réalisés par Nandre, d’autres visages sont marqués d’une croix. Une croix qui, à l’instant même où elle bâillonne les sujets, impose des questionnements. Un X qui se détache de leurs bouches et attire notre attention sur leurs traits, avant qu’ils ne disparaissent de notre esprit. Des images réalisées en de minutieuses vagues d’encre, mimant l’évanouissement des visages dans le mouvement perpétuel de la mer.

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